Bien qu’à la mode, la méditation est tout sauf un gadget récent. Son histoire date d’au moins 2 500 ans, puisqu’elle est notamment associée à l’émergence du bouddhisme. Les premiers écrits chrétiens à propos d’exercices explicites remontent quant à eux aux Pères du désert, aux IIIe et IVe siècles : « Assieds-toi, tais-toi et apaise tes pensées », conseille Abba Arsène au disciple qui l’interroge sur le chemin à emprunter pour être sauvé. Tandis qu’Évagre le Pontique explique, dans son Traité des pensées, « comment ne pas se disperser
La mode est là, incontestablement : articles dans les médias, déclarations de stars et de personnages publics, multiplication des livres et des applications de méditation en tout genre témoignent bien d’un engouement mimétique. Mais la mode est là aussi dans les revues scientifiques ! Une étude conduite sur Pub Med (principal moteur de recherche de données bibliographiques en biologie et médecine) montrait que, d’une vingtaine par an dans les années 1980, le nombre de publications scientifiques sur la méditation dépassait les 385 par an en 2015 ; et ce chiffre continue de grimper. Si les chercheurs et les soignants s’intéressent à la méditation, et persistent, c’est peut-être qu’il y a là autre chose qu’un engouement superficiel. Mais pourquoi maintenant ?
De l’avis de nombreux soignants, il est possible que la méditation joue un rôle compensatoire à des déséquilibres de nos styles de vie contemporains. Un peu comme le sport : plus nos sociétés sont devenues sédentaires, plus il est apparu nécessaire, afin d’éviter les maladies de la sédentarité, mais aussi plus globalement afin de préserver notre santé, de réintroduire une activité physique volontaire et compensatoire (pas forcément du sport, une simple marche quotidienne de 30 à 45 minutes exerce de nombreux effets bénéfiques tant sur notre niveau d’inflammation ou notre immunité, que sur notre bien-être émotionnel). Mais, alors, que compense la méditation ? Sans doute est-elle une pratique qui nous permet de nous dégager des tendances modernes à l’accélération, au matérialisme, à la pléthore ; qui répare les carences de lenteur, de calme, de continuité, de dépouillement ; qui s’oppose à la digitalisation de nos esprits. Lorsqu’on médite, nous le verrons, on lâche toute forme d’action ou de distraction pour simplement se rendre présent, à soi et au monde. On lâche toute forme de dispersion pour se recentrer sur la conscience de son souffle, de son corps, du flot de ses pensées, des sons environnants. En méditant, on se tourne vers quelque chose de simple et de profond, vers une attention à son intériorité, et les conséquences de ce mouvement sont nombreuses.
Les Orientaux présentent volontiers la méditation comme un « entraînement de l’esprit » (là encore, l’analogie avec l’exercice physique, entraînement du corps, est pertinente). Il s’agit bien de cela : les études montrent que le cerveau des méditants réguliers se modifie anatomiquement (c’est la neuroplasticité), ce qui explique les changements obtenus en matière de capacités attentionnelles ou émotionnelles.
(christophe André – extraits de la revue Etudes)
On parle souvent de « la » méditation mais, bien évidemment, il en existe de nombreuses formes : méditations bouddhistes (Zen, Vipassana, méditations tibétaines…), chrétiennes (oraisons silencieuses des Pères du désert…), musulmanes (Mouraqaba du soufisme…) ou autres. Mais, aujourd’hui, quand on évoque « la méditation » sans plus de précisions, c’est de la pleine conscience (Mindfulness, en anglais) dont il s’agit, une technique laïque élaborée par Jon Kabat-Zinn, chercheur en biologie moléculaire, passionné de méditation et de yoga, à partir du corpus des méditations bouddhistes. Ses caractéristiques sont simples : il s’agit de se tourner délibérément vers l’expérience de l’instant présent, de s’arrêter d’agir pour ressentir son souffle et son corps, écouter les sons, observer le flot de ses pensées avec recul, sans les juger, les alimenter ou les relancer. Ce mode de fonctionnement de notre esprit, dit « de pleine conscience », est marqué par l’association de stabilité attentionnelle et d’apaisement émotionnel, et semble être une aptitude innée chez les humains (des échelles en mesurent la répartition en population générale, qui se présente en courbe de Gauss, en « U » inversé, comme la plupart des traits psychologiques chez les humains). Certains environnements en facilitent l’émergence : ainsi, face aux vagues de la mer, aux flammes d’un feu de bois, au défilement d’un paysage derrière la vitre d’un train en mouvement, la plupart d’entre nous voient leur attention captée et leur stress apaisé. La méditation de pleine conscience, finalement, c’est décider d’autoproduire cet état, sans avoir besoin d’un océan ou d’une cheminée !
Il s’agit donc de se rendre présent : à soi, au monde. Rien de plus. Mais rien de moins : que devient la présence à soi et au monde dans un univers contaminé par les injonctions de vitesse et de réactivité, par les addictions digitales ? La méditation est une démarche simple, aussi simple que la marche. Et, si elle est pratiquée avec régularité et profondeur, aussi puissante quant à ses effets sur notre corps, notre cerveau, notre santé…
Pour autant, ce qui permet le très grand succès actuel de la pleine conscience (après tout, la méditation dite « transcendantale » avait connu, elle aussi, ses heures de gloire dans les années 1960), ce sont trois caractéristiques conjointes : sa laïcité (permettant de la proposer dans des environnements très variés), sa simplicité (c’est sans doute la méthode de méditation dont l’apprentissage est le plus rapide, en quelques mois, même si sa maîtrise approfondie nécessite des années) et le grand nombre de validations scientifiques dont elle a été l’objet.
À suivre ….